Les Regards du Grand Paris

Julien Guinand, Karim Kal, Bertrand Stofleth
Commande photographique nationale conduite par le Cnap et les Ateliers Médicis, Grand Paris, 2016-2026
mars 2017
Karim Kal, Série Ligne Dée (extrait), 2017

Les Regards du Grand Paris

Année 1 : « Grand Paris - Ville Monde »

Le ministère de la Culture et de la Communication a confié aux Ateliers Médicis, Clichy-Montfermeil et au Centre national des arts plastiques la conduite de la commande photographique « Les Regards du Grand Paris ».

Ouverte à une diversité de pratiques photographiques, cette commande invite des auteurs évoluant dans le champ large de l’image documentaire, à développer un projet artistique qui inclut des modes de production et de diffusion innovants. Un horizon de dix années (2016-2026), au rythme d’une série de commandes à plusieurs photographes par an, est retenu pour la mise en œuvre de ce projet qui contribuera à développer de nouvelles représentations, urbaines et sociales, du Grand Paris et à de nouvelles expérimentations artistiques et visuelles.

En 2016, les projets de dix artistes ont été choisis pour la réalisation d’une commande : Julie Balagué, Raphaël Dallaporta et Philippe Vasset, Gabriel Desplanque, Patrizia Di Fiore, Julien Guinand, Karim Kal, Olivier Menanteau, Sandra Rocha, Bertrand Stofleth, Chenxin Tang.

Ce Focus numérique présente les recherches sur le territoire du Grand Paris menées dans ce cadre par Julien Guinand, Karim Kal et Bertrand Stofleth, trois artistes vivant à Lyon et représentés par Documents d’artistes Auvergne-Rhône-Alpes.



Julien Guinand

L’anticlinal, 2017
Série photographique couleur et noir et blanc, 110 x 137 cm et 20 x 30 cm et dispositif composé d’une pièce sonore (mobilier, platine vinyle, disque vinyle) et portfolio expérimental
Villes de Suresnes, Arcueil, Montreuil et Meudon
© Julien Guinand

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Le Grand Paris est un espace topographique hétéroclite dont Julien Guinand propose de documenter les aspérités. Comment la cité, comme espace normatif, s’accommode-t-elle de la géographie, de la végétation, de l’insoumis ? Comment s’y intègrent les contraintes économiques, pratiques, politiques de la population ? Le projet dévoile les espaces de résistance à l’idéal des plans architecturaux et laisse surgir dans le paysage l’existence sensible de la ville.

"Aujourd'hui, l'humanité se définit comme force géologique, et trace ainsi les contours d'une nouvelle époque de la terre. Je souhaite associer l'étude de terrains à l'écriture de l'histoire humaine.

Dans ces lieux, la frontalité me permet de composer une vue : "à l'intérieur de la vue", des éléments hétérogènes sont mis en relation, des couches se superposent, les étendues sont repliées en un plan : avant de voir un sujet, je vois un tableau.

Cette manière de figurer l'espace me permet de faire dialoguer les données esthétiques et les configurations géographiques, économiques et politiques. Dénivelés, aspérités, zones végétales, les monts comme métaphore d'une résistance aux nouvelles règles urbaines : la ville doit être "sûre, propre, salubre et plate".

Je suis parti de cette idée simple : parcourir les plis géologiques comme une contrainte pour faire l’expérience de ce territoire du Grand Paris. J’ai suivi l’anticlinal de Meudon, ce pli géologique au sud de Paris qui encadre et dessine le passage de la Seine et j’ai cherché à montrer des éléments qui découlent de cette topographie particulière.

C’est un point important sur le plan tectonique, un point majeur pour suivre la dérive des continents européen et américain. Sous la colline Rodin se trouvent des carrières classées où ont été découverts des fossiles du tertiaire. Au dessus, les projets d'urbanisation se succèdent (ZAC, quartiers résidentiels...).

À un moment de mes recherches, j'ai été amené à descendre dans les carrières avec un paléontologue, une biologiste et une musicienne. Je cherchais à rendre compte du visible et du caché, du positif et du négatif d’un paysage et d’un territoire." 

Note d'intention, Julien Guinand, 2017



Karim Kal

Ligne Dée, 2017
Série de 40 photographies, tirages jet d'encre, contrecollés sur dibond, 135 x 180 cm
Ligne D du RER, de Grigny à Corbeil-Essonne
© Karim Kal

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Le projet de Karim Kal suit la ligne D du RER, de Grigny à Corbeil. Les photographies, prises de nuit au flash à courte portée, sont à la fois inquiétantes et familières. Car, au-delà de l’étrangeté de l’image qui se présente, nous connaissons intimement ces formes et ces matériaux, ces passages, ces abris, ces raccourcis qui mènent plus vite à la sortie ou au prochain train. Dans le contraste cru du noir et blanc apparaît également la tension entre l’espace collectif et l’espace privé, entre la planification et l’utilisation, entre l’autorité et la transgression.

"Images réalisées dans les villes populaires de l'Essonne, le long de la ligne D du RER. De Grigny à Corbeil-Essonne, la ligne de RER détermine un territoire et accentue le sentiment de relégation du fait de ses nombreux retards. Les paysages nocturnes partent d'indices de la vie collective pour composer des images potentiellement projectives."

Note d'intention, Karim Kal, 2017

> consulter l'intégralité de la série Ligne Dée



Bertrand Stofleth

Aeropolis - Grand Paris, 2017
Installation conçue autour de cinq tirages photographiques grand format, 80 x 100 cm encadrés
© Bertrand Stofleth

Un système de réalité augmentée (accessible par une application dédiée, développée sur tablette et smartphone) permettra ensuite de découvrir, pour chaque chapitre, une série d’une douzaine d’images conçues comme des séquences, offrant chacune des explorations de ces différents univers issus de l’aérien. Un trolley aéroportuaire complète le dispositif, agissant comme une ancre physique de l’installation.

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"Le projet "Aéropolis – Grand Paris" s'intéresse aux trois principaux aéroports de Paris (Le Bourget, Orly et Roissy) et à leurs résonances sur l’ensemble de ce territoire métropolitain. Entrecroisant l'histoire à la réalité contemporaine, l'anecdote humaine à l'analyse documentée, "Aéropolis" regarde l'aéroport comme une ville hybride rejetée en périphérie, mais partie prenante des grands réseaux et enjeux urbains modernes, annonçant ses mutations possibles. Il offre une lecture critique du paysage, un voyage au sol, à la fois spatial et temporel. Il y explore ses limites, dans l'entre-deux, dans une lecture dialectique et dynamique des signes et des spatialités découverts. Une part importante du projet donne place aux acteurs, aux rencontres humaines, aux petites - comme à la grande - histoires qui se trament aux entours ou dans les interstices du "hub global".

"Aéropolis" documente le Grand Paris et ses mutations à travers un parti-pris paradoxal à première vue : aller aux confins mêmes de la ville, en ses zones quasiment "refoulées", en ces "non-lieux" selon l'expression de Marc Augé, dont émane immédiatement un parfum d'artifice et d'inhumanité. S'appuyant sur plusieurs travaux en sciences-humaines, Bertrand Stofleth reprend l'histoire longue de l'aviation et des aéroports parisiens, des utopies et des réalités humaines qui leur sont rattachées, et cette idée récurrente et forte : l'aéroport peut être pensé aussi comme une borne, un avant-poste, un laboratoire urbain, ou encore comme un "hyper-lieu" comme le définit le géographe Michel Lussault. C'est une ville hors de la ville, qui à la fois en constitue 
le reflet et le signe avant-coureur, l'expérimentation. [...]

Le projet photographique ne défend nulle thèse fermée, mais tente d'explorer les territoires aéroportuaires en tenant compte de leurs contradictions, de leurs zones de friction, de leurs paradoxes : "dehors" urbain qui contient des "dedans" insoupçonnés, qui eux-mêmes tendent à la ville un miroir en reflétant son devenir probable ; devenir qui oppose à la ville politique le modèle de la ville marchande, etc. Un aéroport est un nœud de communications et de contradictions qu'il s'agit de décortiquer et d'analyser : entre hyper-fonctionnalité et geste architectural fort, entre espace rejeté physiquement en périphérie et espace hyper-connecté, entre espace lisse et espace strié, entre réalité urbaine et fiction ou utopie."

Note d’intention, Bertrand Stofleth, 2017