Hervé Le Nost

Carnet de résidence
E Art, Hangzhou, Chine
octobre 2017
© Droits réservés

Du 4 janvier au 25 février 2017

E Art Chine est installé à Hangzhou capitale du Zhejiang. Hangzhou est une ville de onze millions d’habitants. Les locaux de E Art sont situés dans un quartier récent de la ville en voisinage d’écoles préparatoires à l’Académie des Beaux Arts de Hangzhou, et d’ateliers d’artistes chinois. Composé de E Art Campus et E Art Espace, la plateforme associe à ses projets pédagogiques ou artistiques des artistes et des professeurs français, ainsi que des étudiants chinois intéressés par l’art et la culture française. 

Le principe de la résidence est de proposer aux artistes un espace de travail et d’exposition avec E-Art espace. Des temps sont accordés à la rencontre dans leur espace d’études avec des étudiants chinois. E-Art campus prépare ces étudiants détenteurs d’une licence à intégrer un niveau Master en école d’art en France. Ils travaillent sous forme d’entretiens et de workshop avec les artistes français invités.

Quartier du Village proximité de l'Académie

A l’invitation de Lan Ting, fondatrice et directrice de E Art Chine, j’ai effectué une résidence de deux mois à Hangzhou. Cette proposition donnait suite à sa visite dans mon atelier en décembre 2014, parmi une sélection d’ateliers d’artistes en France. J’ai aussi échangé avec Sujuan Xu directrice de E Art France.

Rencontre avec Niek Van de Steeg qui a également été en résidence à E-Art Space au printemps 2017
/

La résidence combinait en ce qui me concerne plusieurs moments : le travail à l’atelier, les rencontres, des déplacements, des visites, et l’accompagnement dans leurs recherches des étudiants. Invité à mener un workshop, j’ai proposé à chacun(e) de définir l’espace d’un jardin, j’y ai associé des cours d’histoire des arts. Les étudiants ont répondu très librement par des projets qu’ils présentaient par des esquisses, des numérisations 3D, des maquettes, des photographies etc... Je suivais d’autre part l’élaboration de leur book.

Ces étudiants m’ont assisté dans la préparation de l’exposition « Lire les choses » pour mes démarches, visites et exécutions d’éléments divers. 

La résidence s’organisait naturellement comme un lieu de vie assez communautaire. Deux étudiantes chinoises en langue française, Eva et Marie ont assuré la traduction de mon book en chinois. Elles géraient aussi les réseaux sociaux et la communication pour E Art. 

Lan Ting a organisé durant ces deux mois des rencontres précieuses avec les instances de l’académie, des personnalités du monde de l’art chinois, des visites d’ateliers. 

Prendre ses repères :



Dans un premier temps, situer, sur le plan, les zones et les parties de la ville s’est avéré nécessaire. Prendre mes repères. Je ne parvenais pas à établir clairement les axes et les limites de Hangzhou. En janvier et février, en raison de la fraîcheur du climat, la circulation s’y effectuait un peu à pied, beaucoup en taxi ou en bus. Le rapport de proportions entre la ville et ses usagers s’est mesuré durant quelques jours à la vue des groupes importants de candidats équipés de gilets de couleurs inscrits au concours d’entrée à l’Académie de Hangzhou. Ils déambulaient aux abords de l’Académie. Ces 175 000 candidats se présentaient pour les 1500 places disponibles qu’offrait en première année l’Académie. Ils furent d’ailleurs l’objet d’un film réalisé par Daniel Buren avec Joel Benzakin à cette même période. L’organisation des différentes étapes était gérée par Lan Ting et E-Art. J’ai parcouru les avenues, regardé les architectures monumentales, les chantiers, les zones commerciales, les logements, les routes et autoroutes. L’ensemble visuel des éléments s’est assemblé en une carte mentale fonctionnelle, indispensable à maîtriser pour me permettre d’imaginer une possible circulation.

Résidence E-Art Space, ateliers, logements, espaces d'exposition
Quartier à proximité de l'académie
Quartier à proximité de l'académie
Lac Hangzhou
/

Atelier /Résidence/Exposition :



L’espace de E Art, dans ses dimensions m’a poussé à établir très vite une méthode de travail qui prenait en compte tous les espaces disponibles du calendrier de janvier et de février. Le principe de production des pièces en vue du travail final devait s’inscrire dans une efficacité, dans le choix du projet, des supports et des matériaux. Repérages photographiques, vidéos, dessins, visites, et déplacements divers effectués ont fourni la matière du travail. Plafond haut, grande surface sur deux niveaux, baies vitrées et murs, impliquait une approche globale de l’espace d’exposition. 
J’avais déjà pu évaluer, lors d’un précédent voyage dans le Shandong pour le projet céramique de l’EESAB de Quimper, que les traces du passé cohabitaient avec un développement quotidien et rapide d’une urbanisation par tranches de quartiers et de zones urbaines. 
Shanghai et Hangzhou adoptent aussi cette juxtaposition des époques, tout en privilégiant un présent économique et social. Umberto Ecco dans son livre « La guerre du faux » traite par différents exemples du sens du faux dans différents domaines comme les médias, l’architecture, la culture. Il le définit comme un voyage dans l’hyperréalité du monde, pointe les politiques de l’industrie culturelle et touristique qui vendent du vrai, téléportent  le spectateur consentant vers un passé glorieux dont il peut relayer la réalité de son témoignage. Je me suis senti durant la résidence le témoin privilégié et simultané de plusieurs époques.
Mes déambulations à Hangzhou, me permettaient d’observer des éléments icôniques du passé qui ne figeaient pas le présent. J’ai pu visuellement percevoir dans cette ville que l’héritage artistique et culturel chinois combine à l’architecture, la peinture et la poésie. 
 «  Lire les choses », le titre de l’exposition reprend une en-tête de chapitre de la « Guerre du faux » de Umberto Ecco. J’ai souhaité utiliser la matière sans cesse alimenter de mes intuitions et de mes perceptions de ce pays. Elles portaient la charge des écrits de Umberto Ecco et de Nicolas Bouvier, particulièrement « Le plein et le vide : carnets du Japon… ». Une grille interprétative agença les principes d’une restitution visuelle. 

Visite d'atelier avec les co-directeurs
/
/
/
/

La mise en forme de l’exposition a nécessité un travail d‘équipe, de réalisation avec les étudiants qui étaient aussi acteurs de cette exposition. Nous échangions sur le bien fondé de placer tel ou tel dessin, plutôt à un endroit qu’à un autre. 
Le principe de résidence déplace les usages d’une pratique. Ma trousse à outils de résident comporte le dessin, la photographie, la vidéo, l’objet, la sculpture. Elle s’étoffe à chaque fois de réalités, d’expériences, d’étonnements. « Lire les choses » m’a donné la méthode, le principe de lecture du quotidien dans lequel m’immergeait la résidence. Je me suis livré à un exercice de compréhension, pour en mieux perdre le contrôle et ainsi constituer un langage visuel qui formule et restitue mes découvertes, et mes échanges. Ils furent fondés sur l’observation d’un mélange constant d’authentique et de faux aux influences multiples et complexes. Un tirage numérique sur papier Canson de 150 cm par 100 cm montre un fatras de références. Une vidéo de 5 minutes projetée dans la seconde partie de l’espace reprends tous ces images en cuts de la résidence sur un fond de musique électronique « French Psycho ».

/

Le temps d’une résidence 



Le déplacement, l’immersion dans le contexte d’une résidence impliquent une rencontre avec des particularités géographiques, culturelles, artistiques, sociales différents. 
La première bourse que j’ai obtenue en 1983 de l’OFAJ m’a permis de résider à Cologne durant un an de comprendre l’efficacité du marché allemand. En 1985, Pierre Gaudibert m’avait sélectionné pour une résidence à Asilah au Maroc dans le cadre d’un festival des cultures Arabes. Laurence Beaucé m’avait invité à la fondation américaine Henry Clews de La Napoule pour deux mois. Sélectionné par François Rouant et invité par Arman, la Villa Medicis Hors Les Murs, m’a conduit à New-York en 1988 en pleine période d’effervescence du rap où j’ai rencontré Antoni Muntadas et d’autres artistes, et croisé comme tout le monde Basquiat et Haring  .
Ces périodes représentent des temps précieux qui ont généré ma réflexion, elles m’ont permis de mieux définir le sens que j’apporte à mon travail dans sa relation à un contexte. Le Quartier éphémère à Montréal en 1995 devenu depuis la fonderie Darling, m’a livré les éléments d’un contexte artistique et économique montré dans l’exposition « Le tourbillon de la vie ». En Dordogne à Monpazier en 1998, je me suis immergé dans la réalité d’un espace temps arrêté et tourné de façon un peu absurde vers la période médiévale. Ensuite auprès d’une classe d’un lycée agricole en Bretagne à Châteaulin, j’ai travaillé avec les élèves l’espace d’un jardin patrimonial, à Fort de France en 2007 invité par Marcel Dinahet, j’ai rencontré les situations d’une commande qui intégrait un travail avec des enfants et des associations locales dans un contexte urbain difficile, et la rencontre avec Aymé Césaire. 
Dans le cheminement de mon travail, ces moments de déplacement ont toujours été des moments nécessaires, des périodes de ressourcement, de moments de questionnements  divers en lien avec ma pratique.
La résidence crée des moments de frottements avec des réalités hors du quotidien habituel, hors de l’atelier. Mon travail développe un récit dont une part est issue de ce cheminement. Le dessin, la sculpture, l’installation, la photographie, la couleur, la vidéo, déterminent mon travail et induit que son déroulement passe par la série.
La résidence à Hangzhou rebat différemment les cartes. D’un pays émergeant, qui ne l’est déjà plus, en pleine croissance économique, il a paru comme une évidence de capter cette énergie fondée à la fois sur un passé riche de la Chine, l’après colonisation, l’après Mao, la reprise économique et culturelle en cours très puissante. Cette résidence m’a immergé dans le contexte d’une ville et de son énergie, un environnement social et visuel en évolution constante, des rencontres avec les personnes activement impliquées à E-Art, des personnalités et artistes français, et chinois. Un intense moment de recherche et de travail dont l’exposition en formulait l’expression.
L’exposition a présenté un journal de la résidence sur les murs de l’espace de E-Art. J’y ai réuni des pierres de lettrés, le coq du nouvel an chinois, le graphisme des sinogrammes, des éléments du théâtre d’ombre, la géométrie des architectures, la couleur etc… activant des pratiques différentes dessins, fresques, photographies, céramiques, impressions 3D, une sculpture de bambou…vidéo.

Pierre de lettré" h= 80 cm